des diables et des anges vont se battre pour le cœur d'une petite fleur, une jonquille très spéciale...

Zélie la jonquille

 

Zélie la jonquille était tout contente d'être sur terre. Elle venait tout juste d'éclore et avait toute sa vie devant elle. 
Elle sortit tout d'abord le bout de ses feuilles tendres puis s'enhardit à montrer son bouton. Ravie de l'accueil des nuages qui la saluèrent bien bas puis du soleil qui lui chauffa la moelle à midi, elle se dit qu'elle allait avoir une chouette vie de jonquille et se mit sans tarder à déployer ses pétales.

Or, en grandissant, elle s'aperçut posséder à la fois, la couronne de son père et à la fois, la collerette de sa mère.
- Quel drôle d'héritage que voilà ! se dit-elle. Espérons que tout aille bien ensemble !

Déjà bien obnubilée par un vif désir de plaire, elle se regarda sous toutes les coutures et conclut qu'elle était, somme toute, une sacrée belle plante. D'un jaune ravissant qui n'appartenait qu'à elle. 
Oui vraiment ! Ni canari, ni doré, ni citron, non un superbe jaune jonquille ! Hmmm... Sous l'inspiration, elle leva son petit calice en l'air et fit un vœu.

- Serment d'enfant, serment de grand, je serais célèbre ! Oui, tel est mon souhait ! La plus belle sinon rien !

Zélie la jonquille poursuivit donc sa croissance avec entrain. La collerette ravissait les chenilles tandis que la couronne faisait le bonheur des abeilles. Aussi, pour charmer ses admiratrices aux mille pattes, étalait-elle du mieux possible ses pétales en corolle. Et, pour satisfaire ses fidèles aux ailes vibrantes, hissait-elle avec vigueur sa trompette de pétales vers le ciel.

- Ce n'est pas si difficile après tout, que d'exister dans deux sens si opposés ! Je me sens une forme de tous les diables ! 
Peut-être n'aurait-elle pas dû invoquer les forces du Mal ainsi ? Enfin ! Arrive toujours le moment où on doit faire leur connaissance. Alors, aujourd'hui ou demain, peu importe.

- Jolie proie en perspective, se félicita le roi des diables en personne. Autant de défauts que de talents chez cette bougresse ! 
Car Zélie la jonquille était certes vigoureuse mais aussi bien préoccupée par sa petite personne.

Salivant par avance sa réussite, le roi héla ses sbires.

- Tout le monde en piste ! Que celui qui arrive à faire pencher la balance de notre côté se montre ! Allez et que le meilleur gagne ! Peu de temps après ces funestes propos, Zélie la jonquille fut complètement fourbue et le monde ne fut plus du tout la vaste prairie qu'elle aimait mais un horrible trou noir. Où tous ses espoirs, tous ses désirs seraient engloutis à jamais. Pour la première fois de sa petite vie, elle eut peur.

- La vie n'est pas aussi facile que je le croyais ! se murmura-t-elle. Un papillon blanc, venu comme à son habitude faire la causette à tout et à chacun, sentit avant qu'il ne vit les diablotins asticoter Zélie la jonquille.

- Ha ! Ha ! Encore une bataille en perspective ?
- Et pourquoi pas ? répondirent-ils d'un bel ensemble. C'est la vie ! Le sage papillon se posa sur une rose blanche pour ne pas trop se faire remarquer et pour prendre quelque repos utile à sa réflexion. Frottant délicatement ses antennes l'une contre l'autre, il se mit à méditer entre ses ailes.

- Evidemment, évidemment... chacun doit faire ce qu'il a à faire... les méchants à faire les méchants... les gentils à faire les gentils... et le destin de Zélie la jonquille est peut-être celui d'être célèbre... encore faudrait-il qu'elle fasse amie avec la vie... et avec tous les diables qu'elle a à ses trousses... ho ! ho ! mais au fait où sont ses anges ?

Afin de rétablir l'équilibre des choses, le papillon blanc cligna énergiquement des ailes, rameutant de la sorte toutes les forces du Bien, très occupées par ailleurs, auprès de cette jeunesse avide de gloire. Aussi subitement qu'elle était devenue triste, Zélie la jonquille fut tout gaie, ses soucis chassés loin dans le ciel.

A nouveau, elle put sentir ses feuilles pointer sous le vent et ses pétales frisoter au soleil. Il ne lui vint pas à l'esprit de remercier quiconque, cela lui semblait si naturel de faire bouffer ses pétales à longueur de journée.

- Au fond, reconnut-elle, je ne suis ni tordue ni bossue, je suis même vraiment très belle pour mon âge ! Aucun doute, je promets ! 
Sur ce, Zélie la jonquille, toute confiante, s'endormit profondément. Et elle dormit comme elle n'avait encore jamais dormi jusqu'ici. D'un lourd sommeil de petite fleur centrée sur son nombril. Dans quel étrange lieu alla-t-elle ? Jamais elle ne le sut. Elle sentit seulement qu'elle se promenait dans un endroit inconnu d'elle.

- Oui, répéta-t-elle dans sa nuit, totalement inconnu. extrait Corinne Brisco