conte 3. Chez moi, c'est moche.

Chez moi, c'est moche mais d'un moche, je peux pas dire comment. C'est pas un truc en particulier, c'est tout ensemble qui fait moche. Je pensais que c'était que chez moi mais chez les autres où je vais, c'est pareil. C'est tout raide, tout terne, même si ça ressemble pas. Je sais pas ce qui fait que l'œil peut pas respirer à son aise mais c'est comme ça.

Les roses plein les murs, les parcs avec collinettes et kiosques à musique, les rideaux qui tombent comme des pétales, les paons qui courent après les perroquets dans les chambres et les larmes d'étoiles pour faire la lumière, tout ça je sais que c'est du faux pour faire joli, que c'est que dans les illustrations que ça existe.

Et pourquoi, on pourrait pas faire semblant que c'est vrai ? 
Si un jour j'ai un chez moi, je ferai comme si.
 Je m'inventerai une maison pleine de soleil et pleine de lune, pleine d'oiseaux et pleine de fleurs, tellement belle et tellement pleine que la mocheté pourra pas passer.
 Parce que le beau autour, ça fait le beau partout.
 La preuve ! Ma voisine du dessous !
 Celle à qui il-faut-pas-parler-parce-que. Elle marche pas comme nous, elle sent pas comme nous, elle s'habille pas comme nous. On dirait une fleur poussée par le vent.
 Les petites tiges sous ses pieds l'amènent à pas menus jusqu'à une autre petite fleur rouge, une voiture sans toit. Lorsqu'elle part, c'est un bouquet qui s'envole. Et lorsqu'elle revient, c'est un coquelicot qui ferme sa coiffe pour la nuit. J'ai jamais vu plus beau.

A part dans mes livres bien sûr mais, là, c'est vivant.
 Aussi quand elle veut me donner des vêtements. Je lui dit d'accord. Je demande à mes petits frères de se garder tout seuls et je descends. Je les crois pas mais je serais pas loin, juste sous leurs pieds. La porte grande ouverte, elle m'appelle, je me guide à la voix cassée. Elle peut pas avoir une voix normale, elle nous ressemble pas. Raison de plus pour avoir confiance ! extrait Corinne Brisco