conte 4. Je sais que je suis une fille.

 

Je sais que je suis une fille. Même si tout le monde me parle comme à un garçon. Mon père parce qu'il me prend pour le chef de famille. Mes frères parce qu'ils copient mon père. Mes copains parce que je joue comme eux. Mes copines parce que je joue pas comme elles. Pourquoi je dis ça ? Parce que je vais finir par le croire moi-même si je dis rien. Je sais. J'ai les cheveux courts, je suis toujours en pantalon, je bouge tout le temps et je pleure jamais. Enfin, pas devant quelqu'un. Mais je suis quand même une fille. Et c'est pas à cause de mes poupées que je le sais. J'en ai ni plus ni moins que les autres. Ni à cause de mes trucs de fille. J'en ai pas. Et encore moins parce que je me sens petite et faible. Parce que ça, ça m'arrive jamais. Vu que, mon genre dans la vie, c'est foncer et voir après. Non. Je sais pas comment je le sais mais je le sais. C'est comme ça. Je le sens à l'intérieur de moi depuis toujours. Comme un secret entre mon dehors et mon dedans. Je suis une fille. Et je le garde pour moi. Ça me gêne pas d'être prise pour un garçon. Comme ça, je peux tout lire. En deux pages, je suis, comme les mousquetaires, pleine de poussières et d'écorchures. En trois, je me suis échappée de la prison, j'ai sauté sur mon pur-sang et j'ai rejoint mes amis chevaliers. En vingt, j'ai réconcilié indiens et cow-boys. Au bout d'une heure, je suis échevelée, épuisée, le cœur qui cogne, il a plu, grêlé, tonné autour de moi, sur moi, j'ai failli mourir cent fois mais je suis heureuse. Car et, j'ai survécu et, j'ai sauvé plein de gens. Du bon travail. Mais pas de garçon. Car quand je me vois faire, j'ai ma tête de tous les jours, ma tête de fille.

 

Et c'est pas des histoires de robes ou de pantalons qui vont m'arrêter le raisonnement. Non. Car dans les livres d'histoires, y'en a plein. Des hommes en robes qui font des aventures. Des chinois, des rois, des sorciers, des seigneurs, des indiens et même parfois des shérifs. Alors ? Alors si les robes veulent rien dire, les pantalons non plus. Et les cheveux encore moins. Et c'est pas Tarzan qui va me contredire. Parce que lui aussi, il a tout le temps envie de se promener. Et toujours les jambes nues encore. Mais il a personne derrière pour s'occuper de savoir s'il est un garçon ou bien une fille. Parce que, petit un, on ne demande pas à Tarzan s'il est Tarzan. Et parce que, petit deux, ça se voit tout de suite qu'il a des muscles. Des muscles d'homme, je veux dire. extrait Corinne Brisco