conte 2. J'adore quand les gens disent.

 

J'adore quand les gens disent "tu vois le genre, le petit village, le jardin de curé, le lait de vache, les vrais œufs, tout à fait comme dans nos souvenirs d'enfant". Moi je vois rien de tout ça. A part le ciel tout près et le train tout en bas. Tout petit et tout sifflant.

Et la pente. Celle qu'y a en bas de l'immeuble. 
Y'a aussi un toboggan et un tourniquet. Mais y'aussi les bébés dessus. Non. La pente, c'est le meilleur. On s'assoit à plusieurs sur un grand carton et, hop, on glisse en hurlant. De joie de s'agripper les uns aux autres. De mal de s'écorcher les jambes. Et on recommence. Et quand on en a marre, on va plus loin.
 Dans le tunnel.
 Les jambes bien écartées, les pieds calés sur les rails, on guette le bruit du monstre. Quand on l'entend haleter, on se dépêche de déguerpir et de s'aplatir contre le mur. C'est à celui qui crie le plus fort. Mais ça, on a pas besoin de se le répéter.
 Des fois, à force d'attendre, on croit qu'on a raté, qu'on s'est raconté des histoires pour rien. Et brusquement, la grosse boite en ferraille avec personne dedans est là, devant ou derrière nous, son souffle chaud dans nos cous, sa voix métallique dans nos oreilles. On reste sans jambes tellement c'est beau. Mais pas trop longtemps quand même. Vite ! Y faut se jeter sur le mur ! Vite ! Y faut s'accrocher aux pierres ! Y faut pas s'occuper des cheveux qui s'envolent, y faut rugir aussi fort que la bête en fer.
 Quand tout se tait, on sait pas qui a gagné mais c'est pas grave, on a crié. On gagne toujours comme ça. Comme avec la pente.

Un jour, pour nous sortir des immeubles, on nous a envoyés prendre l'air. Je vois pas pourquoi. Quand on glisse très vite sur la pente, on le sent très fort l'air. Et si pour prendre l'air, il faut être dehors, alors moi, je suis la championne de l'air. extrait Corinne Brisco